Le canton de Neuchâtel dispose avec la CCT Santé 21 d’un outil remarquable

Laurent Kurth

Nous avons eu le privilège d’échanger avec Monsieur Laurent Kurth, Conseiller d’État, alors qu’il s’apprête à conclure son mandat. Au cours de cet échange, il a évoqué avec nous son rôle de médiateur dans les négociations de la convention collective de travail CCT Santé 21 en 2022, ainsi que sa vision pour l’avenir de cette CCT.

Comment votre rôle en tant que Conseiller d’État a-t-il contribué à faciliter les négociations entre les partenaires sociaux pour parvenir à un accord sur la convention collective de travail CCT Santé 21 pour son renouvellement en 2022 ?

La négociation de la CCT, de ses conditions et de ses évolutions, relèvent évidemment de la responsabilité des partenaires sociaux. Vu l’importance de cette CCT pour tout le secteur de la santé dans notre canton, le risque d’échec des négociations impliquait à mes yeux obligatoirement une intervention politique sous la forme d’une médiation pour tenter de débloquer la situation. Il faut dans ce contexte aussi relever que les lois fondant le RHNe, le CNP et NOMAD prévoient que si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord sur la CCT, le Conseil d’État fixe les conditions de travail. Ce qui paraît toutefois peu souhaitable.

En l’occurrence, je suis intervenu dans ce dossier avec les objectifs classiques de celui qui agit en tant que médiateur, à savoir de faire comprendre l’importance de l’existence même de la CCT pour l’ensemble des acteurs et pour le canton, de tenter de mettre en évidence d’un point de vue aussi neutre que possible ce qui est légitime dans les attentes et revendications de chacune des parties et au besoin d’émettre des propositions de compromis ou des pistes de solutions pour faire avancer la négociation. Cela dit, au final, ce sont les partenaires sociaux qui ont mené à leur terme les négociations et se sont mis d’accord pour renouveler la CCT Santé 21 en 2022.

La Commission faîtière a décidé d’appliquer en 2024 la même indexation que celle octroyée au personnel de l’Etat, soit 2.2%. Est-ce que la mise en œuvre pourrait poser un problème aux institutions soumises à la CCT Santé 21 ?

Le financement du système de santé se trouve aujourd’hui devant une impasse, avec premièrement des coûts en augmentation du fait notamment de l’inflation, deuxièmement des primes en hausse dans des proportions insoutenables pour les ménages, troisièmement des tarifs finançant les prestations qui ne peuvent être adaptés ni rapidement, ni dans une juste ampleur sans alimenter à leur tour la spirale de la croissance des coûts et des primes, et enfin des conditions de travail et de rémunération notamment des professionnels qui doivent à leur tour être adaptées à l’inflation et être améliorées sur plusieurs points en réponse à la pénurie de personnel.

Confrontés à ce contexte compliqué, le Gouvernement et le Parlement ont accepté, depuis 2023, de faire une entorse au principe de financement des prestations exclusivement par les tarifs. Ainsi, depuis cette année, plusieurs institutions de soins bénéficient d’un soutien financier transitoire de l’État pour leur permettre d’adapter les salaires à l’inflation sans attendre une adaptation des tarifs. Compte tenu de cette décision des autorités politiques et des moyens dégagés pour la mettre en œuvre, les institutions concernées seront en mesure de financer les adaptations salariales convenues. À relever que le soutien étatique sera aussi réduit ou supprimé si les tarifs négociés avec les assurances-maladie augmentent dans les prochaines années et permettent de couvrir cette évolution des coûts salariaux.

Fin 2022, vous avez annoncé la baisse de certaines cotisations sociales, avec la demande d’attribuer ces baisses de charges à une indexation partielle des salaires. En quoi cette mesure contribue-t-elle à résoudre les préoccupations du personnel, et quel est le signal que le gouvernement souhaite envoyer ?

En 2023, les taux de cotisations à la caisse de pensions de la fonction publique et ceux relatifs aux allocations familiales auprès de la caisse cantonale neuchâteloise de compensation ont été légèrement réduits. Le Gouvernement et le Parlement ont ainsi considéré que cela libérait des moyens pour financer une partie de l’adaptation des traitements à l’inflation. En l’occurrence, ce sont 0,2 % qui ont ainsi été sollicités des employeurs sur le premier % d’augmentation octroyé au 1er janvier 2023. Il s’agissait aussi de dire que, lorsqu’une diminution de charge permet de financer une augmentation, il n’y a pas de raison de solliciter plus que nécessaire les finances de l’État.

Les conventions collectives comme la CCT Santé 21 jouent un rôle important dans les négociations salariales. Comment le gouvernement prévoit-il de collaborer avec les partenaires sociaux pour parvenir à des accords équitables dans cette convention ?

Comme évoqué en réponse à la première question, la négociation appartient aux partenaires sociaux. Les employeurs sont dans une position-clé de ce point de vue puisque ce sont eux qui négocient avec les assurances-maladie et avec l’État les moyens qui leur sont alloués pour leurs prestations, et avec les partenaires syndicaux les conditions de travail offertes à leur personnel. En considérant cette position de façon un peu théorique et positive, on peut considérer que les employeurs ont ainsi toutes les clés en main.

D’un point de vue plus réaliste, il faut bien admettre qu’ils sont aussi de la sorte au cœur de toutes les attentes et que celles-ci sont souvent contradictoires. Leur position est ainsi très exigeante. S’agissant du gouvernement, il s’est régulièrement montré ouvert et incitatif ces dernières années pour prendre en considération les acquis de la CCT dans la partie de financement qui revient à l’État et il a toujours apporté son soutien aux négociations. Cela étant, le financement principal des prestations de soins ne relève pas prioritairement de l’État dans notre pays, mais plutôt des assurances-maladie, de sorte que la marge de manœuvre et le pouvoir de l’État restent très limités dans ce domaine.

Comment envisagez-vous l’avenir de la CCT Santé 21 dans le canton, et quels sont les défis potentiels qui pourraient émerger au cours des prochaines années ?

L’existence de la CCT et son extension au plus grand nombre d’acteurs possible a été au cœur des préoccupations et de l’action de l’État au cours des presque vingt dernières années. Le canton de Neuchâtel dispose avec la CCT Santé 21 d’un outil remarquable – disons-le, à nul autre pareil en Suisse – qui règle une grande partie des questions relatives au marché du travail dans la santé. Il constitue aussi un immense atout dans la perspective de la mise en œuvre de l’initiative « Pour des soins infirmiers forts » (initiative sur les soins infirmiers), acceptée par le peuple suisse en 2021, mais aussi pour favoriser l’attractivité des professions soignantes dans un contexte de forte augmentation des besoins.

Une évolution positive serait évidemment que ce texte acquière la force obligatoire dans les prochaines années, réglant ainsi une bonne partie des litiges et des tensions que l’on a vécu à ce sujet. Le grand danger serait à l’inverse que les tensions financières conduisent à un échec des prochaines négociations et que la CCT ne puisse pas être reconduite. Neuchâtel perdrait alors un atout très important pour le secteur de la santé, avec des risques importants de voir le débat autour des questions relatives aux conditions de travail se politiser, la concurrence entre employeurs se développer (avec des conséquences sur les coûts) et la protection des travailleurs s’affaiblir (avec des conséquences sur la détérioration des conditions de travail et une augmentation de la pression sur les employés).

J’invite dès lors chaque partie concernée – de près ou de loin – à s’investir pour que le premier scénario voie le jour.