Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas traiter les milliards de données médicales à notre disposition.

La digitalisation et l’intelligence artificielle dans le monde des soins vous intéressent ? Nos questions à Olivier Strub, directeur du CIGES, centre de compétences du système d’information sanitaire du canton de Neuchâtel.

Pouvez-vous nous présenter le CIGES en quelques phrases?

Le CIGES est une société anonyme détenue par l’État de Neuchâtel et les principales institutions de santé du canton. Notre vocation? Nous sommes le département informatique de ces établissements, à savoir l’Hôpital neuchâtelois, le Centre neuchâtelois de psychiatrie, NOMAD et l’ANEMPA.

Pourquoi avoir créé une structure spécialisée?

Pour que le réseau de santé ait la maitrise de son système d’information. L’informatique ne saurait être réduite à ses machines, si j’ose m’exprimer ainsi. La gestion des infrastructures des institutions est déléguée à l’État. Au CIGES, nous nous occupons de la couche applicative, c’est-à-dire du développement d’outils métiers pour répondre aux besoins du monde de la santé. Pour lui apporter des solutions viable et pérennes, nous devons parfaitement en comprendre les enjeux. Nous mettons en œuvre des solutions informatiques en soutien aux processus métiers, qu’ils soient propres à une institution ou transversaux au sein du réseau de santé.

L’usage des données est toujours un sujet sensible. Qu’en pensez-vous ?

L’usage des données constitue un défi pour tous les métiers, pas seulement pour la santé. C’est effectivement un sujet sensible car il est contraignant, traiter des données constitue une charge pour les professionnels et constitue une responsabilité en matière de confidentialité et de sécurité. Cependant dans le cadre de la santé, une transition s’est opérée passant d’une pratique essentiellement orale à une pratique plus digitale, désormais les données font partie intégrante de l’acte de soin. Quelles informations les professionnels désirent échanger avec leurs pairs, dans quelle temporalité et avec quel niveau de qualité? Le fond du sujet n’est pas l’informatique mais bien la pratique médicale. Ce changement de paradigme, cette charge additionnelle pour les professionnels, participe à la qualité et à la sécurité des soins. Qui a le droit d’avoir accès à ces données, pour quel usage ? C’est un débat de société qui doit avoir lieu et c’est normal. Il sera essentiel sur ces sujets de prendre en compte la position des professionnels de santé et de ne pas adopter une approche uniquement juridique, déconnectée des contraintes opérationnelles du monde médico-soignant. J’ajouterais que le développement des nouveaux moyens de communication a, par ailleurs, poussé les citoyens à devenir des acteurs plus responsables et actifs. Dans un avenir proche, ils solliciteront une relation directe avec les professionnels de la santé et de nouveaux outils seront à imaginer pour faciliter cette interaction, à la fois pour offrir de nouveaux services aux patients, mais aussi en vue de ne pas surexposer les professionnels.

La digitalisation transformera en profondeur le monde des soins?

La digitalisation de la société ouvre de nouvelles perspectives. Prenez l’exemple de certains pays où les résidents sont parfois très éloignés de l’hôpital. Des unités de soins mobiles se sont constituées, se déplacent et consultent, au besoin avec des spécialistes par vidéo conférence. La topographie amène à considérer d’autres manières de pratiquer les soins. Chez nous, cela pourrait permettre d’alléger le dispositif ou de le compléter. Ce n’est pas à l’ordre du jour, mais ces pistes de réflexion ne sont pas à négliger.

Et que pensez-vous de l’intelligence artificielle?

Elle peut clairement apporter sa contribution au monde médical. Aujourd’hui, nous sommes capables de construire des voitures ‘intelligentes’ et autonomes qui se déplacent dans un univers mouvant et instable. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas traiter les milliards de données médicales à notre disposition pour nous aider à poser des diagnostiques et lire les symptômes. Il ne s’agit pas de subordonner l’homme à la machine, mais de tirer profit de l’incroyable capacité d’analyse que nous offre le traitement des données. Dans ce domaine aussi, il incombera à l’homme de choisir l’usage qu’il souhaite en faire. Bien que pour certains ceci s’apparente certainement à une vision futuriste. Il me semble que les médecins, qu’ils pratiquent en cabinet ou au sein d’un hôpital, devraient considérer ces nouveaux outils susceptibles de les soutenir dans leurs pratiques dans un proche avenir.