Quand vous êtes enfant de parents vous ne pouvez pas être leur soignant

Quel est le rôle d’un infirmier-ère dans le système de soins ? Entretien avec Madame Raphaëlle Pinel, infirmière cadre au Foyer de la Côte.

Vous avez pratiqué votre métier en France. Quels sont les principales différences avec la Suisse ?

 J’ai exercé plus de vingt ans mon métier en France et j’ai pu y constater la dégradation du système de soins. Imaginez, dans le service gériatrique dans lequel je travaillais, il y avait quatre aides-soignantes pour trente-cinq patients. Nous vivions en plein paradoxe. D’un part, le discours politique et l’attente légitime de soins de qualité de la part de la population, d’autre part la réalité du terrain. Je retrouve ici une philosophie proche de mes valeurs humanistes.

Quel est le rôle d’un infirmier ou d’une infirmière ?

Ils doivent être capables de conceptualiser les soins. J’insiste pour qu’ils exercent leur savoir. Nous nous sommes débarrassés de cette image de religieuse faisant uniquement don de soi, image qui est d’ailleurs à l’origine de notre métier. Les infirmiers et les infirmières ont acquis des connaissances suite à une formation sérieuse. Ils sont donc en mesure de poser des diagnostics infirmiers. En résumé, nous collaborons avec les médecins, nous ne sommes pas leurs exécutants car le paradigme a changé. La réalité de l’épuisement infirmer se trouve aussi là : la passivité. Cela tend à disparaître, mais c’est parfois une réalité.

Est-ce une attitude générationnelle ?

Les formations actuelles sont plus axées sur la prise de décision. Donc oui, il y a une dimension générationnelle. J’ajouterais qu’il existe de nombreux nouveaux métiers transversaux, des ASSC, à savoir des assistants santé en soins communautaires. Ce ne sont ni des infirmiers ni des aides-soignants. Je salue ces formations mais sur le terrain cela pose la question suivante« qui à l’autorité de décision ». Un infirmier ou une infirmière est formé à l’idéation, à la conceptualisation des soins. Pas les ASSC. Je suis donc confrontée à la question suivante « qui fait quoi et avec quel degré de légitimité ». La frontière est parfois floue.

Est-ce aisé d’engager du personnel dans un EMS ?

Les jeunes diplômés ne sont pas attirés par la gériatrie, je ne vous le cache pas. Pourtant, leur formation prend tout son sens car ils peuvent y mobiliser tout leur savoir : cardiologie, pneumologie ou en endocrinologie pour ne citer que ces exemples. Je constate qu’ils appréhendent le monde des EMS, mais quand ils y viennent en stage notamment, ils en sont satisfaits.

Cela signifie qu’ils restent ?

J’ai la chance de travailler dans un établissement visionnaire. La bienveillance n’est pas qu’un label ici. Nous pratiquons la loi du ruissellement. Si vous traitez bien le personnel, les pensionnaires seront bien traités. Cela peut sembler banal, mais c’est une vérité. Le personnel du Foyer de La Côte est fidèle car il s’y sent bien.

Que pensez-vous des soins ambulatoires ?

Cela dépend des patients, évidemment. Mais le monde politique voit dans les soins à domicile un potentiel d’économies financières. Pourquoi pas ! Mais nous avons une liste d’attente et nos résidents arrivent chez nous souvent trop tard et sans préparation. Une entrée dans un home se planifie. Soyons clairs, la volonté politique de favoriser l’ambulatoire présuppose de s’appuyer sur les familles des personnes âgées pour leur prodiguer des soins. Mais quand vous êtes enfant de parents vous ne pouvez pas être leur soignant. Vous n’avez ni la formation ni la distance émotionnelle. Soigner, c’est un métier et le tout ambulatoire constitue un risque pour les personnes âgées et leur famille.