Interview du Conseiller d’État Laurent Kurth

Laurent Kurth

Quel est le principal bénéfice d’une CCT pour le personnel hospitalier?

Le domaine de la santé est soumis à de fortes pressions. Pour le personnel, c’est l’assurance de connaître ses conditions de travail. Quand des changements importants interviennent, comme des déplacements ou même des fermetures de site, comme cela a été le cas à la Béroche, des conditions très claires sont définies et les conditions d’un éventuel plan social ont déjà été négociées. On ne passe pas des années à discuter. Je considère également que cette stabilité, dans un monde hospitalier très agité, constitue un socle à partir duquel nous pouvons apporter un peu de sérénité et bâtir l’avenir.

Quelle est la principale menace pour le personnel?

Juste avant 2010, les Chambres fédérales ont décrété que la santé est une marchandise comme une autre. De ce fait, les prestataires de soins sont en concurrence. Le danger? Que cette compétition se fasse au détriment des conditions de travail. Avec la CCT Santé 21, chaque employeur doit respecter les mêmes règles du jeu avec le personnel. C’est fondamental.

N’est-ce pas une contrainte que nous nous imposons?

Oui, et elle est en faveur de notre canton. L’étude comparative intercantonale a clairement conclu que la CCT ne générerait pas de surcoût. Les partenaires sociaux sont satisfaits, tant les employeurs que les employés. D’ailleurs, il y a de plus en plus d’employeurs qui s’y affilient : les deux tiers des EMS, le principal hôpital du canton, l’Hôpital psychiatrique et la principale organisation d’aide et de soins à domicile, pour ne citer qu’eux, ont signé cette CCT. Plus de 6’000 collaborateurs en bénéficient. C’est une référence dans notre canton.

Les employeurs et les employés y trouvent-ils vraiment leur compte?

Oui, et si tel n’était pas le cas, la CCT leur donne le pouvoir de modifier les conditions problématiques. En outre, cette CCT offre également toute une palette de services mutualisés. De nombreux directeurs d’EMS me disent que leur charge administrative est restreinte grâce à la CCT. Et les employés sont raisonnablement protégés. Nous le savons tous, quand un domaine est soumis à de fortes volontés d’économies, la tentation est forte de toucher aux conditions de travail du personnel, plutôt que résoudre les vrais problèmes du système de santé. Avec cette CCT, les employeurs doivent respecter les mêmes règles du jeu.

Alors pourquoi certains acteurs du canton n’ont pas signé cette CCT ?

Il y a deux critiques principales à l’égard de la CCT. Une me paraît fondée: cette CCT ne distingue pas suffisamment les différences d’organisation entre une institution de soins à domicile, un EMS ou un hôpital. Cette critique est justifiée et je relève que lors de la signature de la dernière CCT (les CCT sont négociées et signées entre les partenaires sociaux tous les 4 ans), des assouplissements ont été prévus. En revanche, la séparation entre personnel d’une même institution n’existe pas dans d’autres cantons et ne correspond pas aux besoins des employeurs. L’autre critique, que je comprends moins, c’est de considérer cette CCT comme une protection excessive. Il faut rappeler que tous les partis politiques neuchâtelois ont voulu cette CCT parce qu’ils considéraient qu’il fallait améliorer et harmoniser les conditions de travail. Auparavant, le personnel médical dépendait de l’État. C’était l’État qui fixait les conditions de travail des homes et des hôpitaux. Les partis, à raison, ont dit «stop, c’est aux partenaires sociaux de s’entendre». À présent c’est le cas, cette CCT fonctionne et on remet tout en question.

N’empêche, ses détracteurs prétendent qu’elle est trop favorable aux employés et que les employeurs ont beau jeu car in fine ce n’est pas eux qui paient. Considérez-vous cette critique comme recevable ?

C’est effectivement la principale critique que j’ai formulée lors de mon entrée en fonction. Tout le monde se mettait d’accord autour d’une table et ensuite on envoyait la facture à l’État. C’était un vrai problème il y a 6 ans, mais il est corrigé. Nous avons mis en place des freins à la dynamique des charges. Nous négocions de manière stricte avec les employeurs; d’ailleurs, depuis 2017, il n’y a plus de lien direct entre le subventionnement des institutions et le contenu de la CCT. De même, les assureurs discutent aussi avec les employeurs concernant certains coûts. Cette critique n’est donc plus recevable. Par contre, j’en formulerais une autre.

Laquelle ?

En effet, le partenariat fonctionne. Les partenaires sociaux négocient et nous aboutissons à des compromis fructueux. Toutefois, les employeurs sont contraints, pour ainsi dire, d’aboutir à la négociation. La loi leur impose de signer la CCT Santé 21. C’est un déséquilibre dans les négociations qui doit être changé. La négociation est vraie uniquement quand vous pouvez vous retirer de la table à tout moment. Mais la nouvelle loi proposée par le Grand Conseil ne résout pas ce point. Pire, elle crée des difficultés supplémentaires sans s’attaquer au vrai problème. C’est gênant.

Revenons à un point que vous évoquez. Quel est le vrai problème des coûts de la santé ?

Le marché des soins a été libéralisé et les prestataires ont intérêt à vous offrir toujours plus de soins, très sophistiqués et très onéreux. Et personne ne les freine, car les consommateurs ont déjà payé (par leurs primes d’assurance) et ils en veulent pour leur argent.

Sommes-nous les acteurs de l’augmentation des primes ?

Le système nous pousse à consommer toujours plus. Les prestataires gagnent mieux leur vie en nous faisant consommer. Et il n’y a pas de frein. Dans tous les autres domaines, le frein c’est votre limite budgétaire. Mais dans le domaine médical, vous payez une prime et les personnes qui vous soignent vous disent «allez-y, c’est couvert». Donc nous consommons. Sans retenue. C’est comme si nous enlevions les caisses du supermarché en donnant la garantie au propriétaire qu’il pourra facturer à l’État tout ce qui est consommé.

En attaquant la CCT santé, se trompe-t-on de cible ?

Non seulement cette loi ne s’attaque à aucun problème de la santé, mais elle a comme seul objectif d’affaiblir ce qui fonctionne. Cette CCT doit évoluer. Évidemment qu’elle est imparfaite. Alors modifions-la! Pas besoin de détruire votre maison si vous n’êtes pas satisfaits de la salle de bains. Le Conseil d’État s’est opposé à la modification proposée par le Grand Conseil. Et  personnellement, je voterai 2 fois non.